Compter les victimes: Partie 1 – la difficulté de quantifier le nombre de victimes de l’esclavage par ascendance, par Leah Durst-Lee (Juillet 2021)

Depuis 2018, au moins 3 000 personnes ont été déplacées en raison de violences liées à l’esclavage dans la région de Kayes, au Mali. Mais pour recevoir l’aide que les victimes méritent, il faut un meilleur décompte du nombre de personnes déplacées. Cela aidera les militants, les chercheurs et les décideurs politiques à élaborer des solutions durables pour les personnes dans le besoin. Il est cependant difficile d’obtenir une estimation précise du nombre de personnes déplacées, d’une part à cause des stigmates associés à  l’esclavage, et d’autre part à cause des difficultés à localiser les personnes déplacées, qui peuvent se déplacer individuellement ou avec leur famille, ce qui rend l’identification du déplacement plus difficile. Ce billet de blog est le premier d’une série de deux articles sur le comptage des victimes. Le premier blog analyse la difficulté de quantifier le nombre de victimes de l’esclavage fondé sur l’ascendance et le second la difficulté de compter les victimes des déplacements internes liés à l’esclavage.

Malgré une abolition et une criminalisation généralisées, l’esclavage fondé sur l’ascendance est pratiqué dans plusieurs pays de la région du Sahel, notamment au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Nigeria, au Sénégal, au Soudan et en Gambie. Malgré sa prévalence, il est difficile de dénombrer les victimes de l’esclavage fondé sur l’ascendance en raison de la nature illégale et de la stigmatisation de l’esclavage. Cette forme d’esclavage est pratiquée dans des sociétés hiérarchisées où l’élite des « propriétaires d’esclaves » prétend qu’il s’agit d’une « pratique traditionnelle » qui doit être respectée, et où les militants anti-esclavage qui osent s’élever contre cette pratique sont confrontés à la violence et à la stigmatisation. Cette stigmatisation peut conduire certains à se taire, à ne partager leurs souvenirs qu’au sein de la famille ou même à ne pas les partager du tout afin de reconstruire leur vie sans avoir à porter les stigmates de l’esclavage. Ceux qui ont connu l’esclavage ou ses stigmates peuvent choisir de rester dans l’ombre par manque de ressources, d’informations ou par crainte de représailles ou de honte. Si le choix de garder le silence protège certains des stigmates de l’esclavage, il permet également le maintien du silence au sein du gouvernement, ce qui amplifie et perpétue sa survie.

Malgré les difficultés, des chercheurs et des militants ont tenté de dénombrer les victimes de l’esclavage fondé sur l’ascendance, en remontant jusqu’aux années 1800, époque à laquelle on estime que 3 à 3,5 millions de personnes, soit environ 30 % de la population totale, ont été touchées par l’esclavage en Afrique occidentale française. Aujourd’hui, dans les sociétés ouest-africaines ayant une histoire d’esclavage, les personnes classées localement comme « descendants d’esclaves » représentent une grande partie de la population ; on estime que plusieurs millions de personnes en Afrique de l’Ouest sont désignées dans leur langue maternelle comme des « esclaves » et que beaucoup de leurs descendants sont obligés de porter ce stigmate et se voient refuser l’accès aux services sociaux de base et aux droits politiques, économiques et civils comme peuvent le faire les personnes n’ayant pas le statut d' »esclave ». L’organisation malienne anti-esclavagiste Temedt estime qu’au moins 200 000 personnes vivent aujourd’hui en esclavage au Mali. On ignore combien de personnes subissent cette stigmatisation dans la région de Kayes au Mali, cependant les chercheurs de SlaFMig estiment que 3 000 personnes ont été déplacées en raison de leur « statut d’esclave » depuis 2018.

La nécessité de dénombrer les victimes est urgente. Savoir combien de victimes de l’esclavage fondé sur l’ascendance ont été déplacées dans la région de Kayes au Mali aidera les gouvernements, les organisations d’aide et les militants à répondre pleinement à leurs besoins. Cette situation est d’autant plus grave qu’un grand nombre de ces personnes déplacées sont potentiellement vulnérables à une exploitation supplémentaire, comme le service domestique, la traite ou la prostitution. Avec des chiffres exacts sur la crise, les victimes, les activistes, les chercheurs et les décideurs politiques peuvent travailler ensemble pour créer des solutions durables pour ceux qui ont été déplacés à l’intérieur du pays. C’est pourquoi le projet SlaFMig mène des recherches auprès de personnes déplacées ayant un passé d’esclave et lutte contre la stigmatisation en sensibilisant le public par des campagnes et des formations juridiques anti-esclavage. L’estimation du nombre de personnes touchées par les déplacements liés à l’esclavage sera utilisée pour lutter contre le silence des gouvernements locaux et internationaux, afin que les victimes reçoivent le soutien qu’elles méritent. Participez à notre travail en vous engageant avec nous sur notre site web, Facebook, Twitter, Instagram et TikTok.

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