Dans les Etats ouest-africains en général et au Mali en particulier, la mise en œuvre des instruments juridiques reste une question épineuse, tant au niveau national qu’au niveau international. Au Mali, plusieurs facteurs (politiques, socioculturels…) font obstacle à cette mise en œuvre, compromettant ainsi le respect des droits humains et de la propriété foncière. Le facteur politique réside dans le manque de volonté des autorités publiques d’élaborer une loi spécifique criminalisant l’esclavage au Mali. Sur le plan socioculturel, de nombreuses personnes dans les communautés soninkés, peuhles, khassonkés, considèrent encore que la pratique de l’esclavage se justifie par les coutumes locales, en tant qu’institution léguée de génération en génération entre les descendants des « maîtres » et les descendants « d’esclaves », dans le souci d’une hégémonie éternelle. Certaines ne veulent pas d’un changement sous l’influence des droits humains et d’un Etat de droit, et ne désirent pas a fortiori s’impliquer dans la lutte contre l’esclavage au sein de leur communauté respective.
À cet effet, les victimes de l’esclavage par ascendance souffrent du fait de leur rang et de leur statut social assigné. Ils n’ont droit à rien au sein de ces communautés. Les victimes de l’esclavage par ascendance font face au déni de droits fondamentaux, à la marginalisation et aux déplacements forcés, d’autant plus s’ils s’opposent à ces pratiques dites coutumières. Ils sont alors forcés de quitter leur village et de cesser de cultiver les terres sur lesquelles leurs ancêtres ont travaillé parfois durant des siècles.
Depuis quelques années, beaucoup des victimes se sont révoltées contre cette pratique, ce qui a entraîné assassinats, dépossession et déplacements forcés dans la région de Kayes. Ainsi, dans la région de Kayes, de 2018 à nos jours, plus de 2 185 personnes victimes d’esclavage par ascendance ont dû quitter leurs villages en raison de leur résistance à cette pratique. Elles se sont installées dans d’autres localités du Mali. Une victime affirme ainsi : « Nous sommes venus à Bamako avec nos maris et nos enfants à cause de notre révolte et de notre refus contre la pratique dite coutumière. Cette fameuse pratique n’est rien d’autre que de l’esclavage. Les soi- disant maîtres nous ont menacés de représailles collectives, si jamais nous ne quittions pas leur village. Cela fait trois ans que nous sommes dans cette lutte-là. Nos époux et enfants disent qu’ils n’acceptent plus d’être esclaves. Tous ceux qui sont ici sont des victimes de l’esclavage par ascendance ».
Or, les principes d’égalité, de liberté et de propriété sont garantis dans les Constitutions ouest- africaines notamment celle du Mali. De ce fait, les autorités maliennes doivent impérativement assurer ces principes constitutionnels[1] et universels à tous les citoyens maliens.
En somme, le Mali se doit de poser des actes pour la bonne mise en œuvre des instruments juridiques relatifs à la lutter contre l’esclavage, mais aussi d’adopter une loi spécifique criminalisant l’esclavage. Cela permettra notamment aux juges de trancher les cas dont ils sont saisis en vue de garantir les droits et libertés fondamentaux.
[1] Voir article 2, 13 de la Constitution malienne du 25 février 1992.
Fousseini DIABATE, Doctorant au LERDDL
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