Une interview du Dr Marie Rodet avec BBC Afrique pour la Journée nationale de lutte contre l’esclavage en Mauritanie

Le 6 Mars 2023, pour la Journée nationale de lutte contre l’esclavage en Mauritanie, le Dr Marie Rodet a donné une interview au sujet de l’esclavage par ascendance en Afrique de l’Ouest auprès de BBC Afrique. Vous pouvez l’écouter ici:

Transcription de l’interview

Présentateur:
Les Mauritaniens ont célébré hier la journée nationale de lutte contre l’esclavage par ascendance. Dans ce pays, malgré une loi criminalisant la pratique, certaines ONGs internationales pensent que le mal n’est pas totalement éradiqué. Dr. Rodet, spécialiste de l’histoire de l’esclavage en Afrique est l’invitée de BBC matin. Elle répond à Souleymane Issa Maiga.

Interviewer:
Dr. Rodet, merci d’avoir accepter de répondre aux questions de BBC Afrique. Qu’est-ce qu’on doit comprendre par esclavage par ascendance?

Dr. Rodet:
L’esclavage par ascendance c’est un statut qui s’hérite, un statut héréditaire qui est là dans les communautés d’Afrique de l’Ouest parce qu’un ancêtre ou une personne a soi-disant été prise en esclavage. Et donc toutes les personnes qui viennent de cet ancêtre sont considérées dans ces communautés comme des « esclaves » et sont appelées « esclaves ». Elles transmettent du coup à leur tour le statut à leurs enfants. Et elles sont donc catégorisées comme « esclaves » et subissent malheureusement une palette, de discriminations, voir même de violences. Tout est fait pour les rabaisser, les discriminer du fait de ce statut hérité dans leurs propres sociétés, elles ne peuvent pas accéder à certaines fonctions, notamment chef de village, même des fonctions politiques, comme maire, elles sont parfois enterrées dans des cimetières séparés. Dans les villages musulmans, les hommes n’ont pas accès non plus à l’imamat ou à la conduite de la prière.

Interviewer:
Alors quels sont les pays dans lesquels cette pratique subsiste encore?

Dr. Rodet:
L’esclavage par ascendance concerne quasiment toutes les communautés africaines d’Afrique de l’Ouest, et persiste jusqu’à aujourd’hui sous la forme de catégories sociales fixes, qu’on ne peut pas changer, qui sont vécues comme une fatalité et qui en fait empêchent même des mariages entre les différentes catégories sociales.

Interviewer:
Alors Dr. Rodet, pourtant beaucoup de pays ont adopté des lois criminalisant cette pratique, qu’est ce qui bloque leur mise en application ?

Dr. Rodet:
En fait, souvent ces lois sont adoptées pour, par exemple, répondre aux traités internationaux qui ont été signés. Mais il n’y a pas toujours d’engagement concret des états et une loi ne suffit pas, il faut qu’elle soit appliquée et pour ça il faut aussi accompagner ces lois. Donc avant qu’une telle loi soit votée, il faut déjà commencer la sensibilisation. Et une fois qu’elle est votée il faut la continuer. Et en fait, ce que font les états, comme la Mauritanie ou même le Niger, le Mali n’a pas encore adopté de loi criminalisant l’esclavage par ascendance, c’est qu’ils mettent en place des mesures mais ne les accompagnent pas. Les états sont très frileux. En fait, pendant de nombreuses décennies, ils ont dit que ça n’existait pas, que ce qu’on prenait pour de l’esclavage ce n’était pas de l’esclavage, c’était des coutumes, c’était leurs traditions.

Interviewer:
Dr. Rodet, demain sera célébrée la journée internationale de la femme. Est-ce qu’elles sont plus victimes de cette pratique ?

Dr. Rodet:
En Afrique de l’Ouest, les femmes et les enfants sont la majorité des victimes de l’esclavage. Pourquoi, parce que les enfants sont plus faciles à garder sous cette domination et les femmes ont des enfants dans la communauté donc on pense pouvoir les retenir par ce biais et qu’elles ne vont pas se rebeller. C’est les femmes qui sont surtout victimes de violences spécifiques. Elles sont victimes de violences sexuelles, les enfants qui sont issus de viols restent dans la communauté ne sont pas regardés comme des citoyens à part entière et continuent à être considérés comme des « esclaves » et « descendants d’esclaves ».

Interviewer:
Alors, comment mettre fin à cette pratique en Afrique?

Dr. Rodet:
Il faut avant tout changer les mentalités. C’est un long processus mais c’est un processus qui peut se faire, notamment en visant la nouvelle génération. Là où il y a un travail énorme à faire, et c’est ce à quoi on s’attelle avec mon programme de recherche-action, c’est vraiment sensibiliser la jeunesse en disant que c’est une cause qui doit concerner tout le monde. Ce sont des causes qui doivent devenir des causes nationales. Pour les droits humains, il faut lutter pour tous les droits humains, on ne fait pas une sélection des droits humains qu’il faut défendre. Et l’esclavage par ascendance est un crime contre lequel il faut que les jeunes générations s’impliquent, il faut mettre à disposition tout un arsenal de sensibilisation. Ça peut passer par des animations dans les lycées comme on a fait : des concours de slam sur cette problématique, des brochures, des débats, des concerts. Il faut que les personnalités aussi dans ces pays s’engagent et n’aient plus honte de parler de ces questions-là, parce que actuellement si on ne fait rien, dans des états qui sont de plus en plus confrontés à des problèmes de sécurité, les terroristes et autres profitent des failles et des conflits sociaux pour mieux occuper le terrain. C’est un problème de sécurité nationale et internationale, c’est un problème de développement, ça prend du temps, donc il faut vraiment une volonté politique.

Interviewer:
Dr. Rodet, je vous remercie.

Dr. Rodet:
Merci beaucoup.

One Comment

  1. Boubacar Traoré-Reply
    12/04/2023 at 13:41

    Vraiment l’esclavage existe à100% en Mauritanie favorisée par le gouvernement,ses députés ses maires

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